Devenu incontournable au Cameroun avec sa pop urbaine aux saveurs r’n’b, le chanteur Locko vise plus haut avec son nouvel album Era, de calibre international et soutenu entre autres par la présence de ses semblables Tayc et Bramsito.

À une époque où le marché de la musique semble avoir pris l’apparence d’un gigantesque goutte à goutte numérique, chaque artiste laissant couler de façon sporadique ses nouvelles chansons mises en ligne sans forcément de logique d’ensemble, le fonctionnement de Locko s’avère presque anachronique : depuis 2015, le Camerounais a sorti deux EPs et trois albums, dont Era il y a quelques semaines. Soit cinq projets, pour un total d’une soixantaine de morceaux, auxquels il convient d’ajouter un nombre conséquent de featurings qu’il a accepté de faire pour d’autres !

Prolifique, le chanteur presque trentenaire explique qu’il essaie d’attraper dans son filet toutes les émotions qui se présentent, point de départ de son processus créatif. « À ce moment-là, je vais me diriger vers mon piano ou ma guitare, je vais jouer quelques notes et si je trouve ça pertinent. Je vais en studio pour tenter d’en faire une chanson, en voyant quel type de chaleur je veux transmettre », décrit-il.

Era, nouvel album

Conçu à Yaoundé et à Paris en période de pandémie, en collaboration avec des beatmakers réputés sur la scène camerounaise à l’image de Phillbill et avec des invités tels que le Franco-Camerounais Taycet le Franco-Congolais Bramsito qui évoluent dans la même catégorie que Locko, Era répond à une envie profonde : « Trouver l’équilibre pour exploiter ma culture sans la dénaturer et proposer un son unique qui parle au monde entier », résume son auteur qui confie « avoir grandi dans un environnement où [il avait] du mal à assumer » qui il était musicalement. « Pour certains, ça allait trop loin, ça ne ressemblait pas aux couleurs locales. Pourtant, lorsqu’on écoute ma façon de composer, le choix des percussions, des mélodies, ce n’est pas que du r’n’b et de la soul, c’est imprégné de makossa, de makouné », poursuit-il.

Son éducation musicale se fait d’abord dans le cadre familial – parmi ses parents plus ou moins éloignés figurent notamment Koto Bass, musicien majeur disparu en 1996 à 33 ans, et « tonton » Manu Dibango, à qui Locko rend hommage à travers sa chanson ManuLuv. De ses grandes vacances chez sa grand-mère à Douala où un oncle lui apprend la guitare, le natif de Yaoundé se souvient que c’était au départ, à l’âge de huit ou neuf ans, « plus une corvée qu’autre chose ». Les ampoules aux doigts n’y sont pas étrangères…

À la maison, son père passe du jazz, de la musique classique. « Il arrivait qu’on s’asseye et, pendant des heures on écoutait une symphonie. Il demandait ce que j’avais remarqué, ce qui m’avait plu », rappelle le chanteur qui a démarré à l’adolescence en faisant du rap avec un nom : L. A. King, pour Locko Artur King. Avec son groupe, il va d’école en école pour clasher tous ceux qui y sont prêts. « Ça a contribué à ce que je gagne en confiance », considère aujourd’hui celui qui avait « un peu honte » de sa voix aigüe avec laquelle il pouvait interpréter « à l’aise » le répertoire de Céline Dion « Pas très hype auprès des copains », en rigole-t-il.

Brillant élève, le voilà qui débute ses études à la prestigieuse École nationale polytechnique de Yaoundé. « Je ne me sentais pas à ma place. C’était plus une question de pression sociale », confie le chanteur. En tant que premier garçon de sa fratrie, il lui revient alors de faire face aux lourdes responsabilités qui lui incombent depuis le décès de son père, pilote de l’armée camerounaise, dans un accident d’avion en 2003.

Pourtant, la musique coule dans ses veines ; il le sent. « J’avais cette passion en moi et je ne savais pas où l’exprimer car ma mère avait peur de nous laisser sortir, découvrir le monde. Du coup, je ne pouvais pas aller jouer dans les cabarets, faire les compétitions », reprend Locko. La parade ? « Créer une chaîne Youtube, c’était l’opportunité pour moi depuis ma chambre de pouvoir montrer ce que je faisais. »

A partir de 2010, il poste donc ses vidéos, tournées avec une caméra qu’il a achetée grâce à un « petit job ». Il reprend les tubes de Gim’s, Singuila, Bruno Mars mais aussi des succès camerounais comme Hein Père de Stanley Enow ou African Mamy de Duc-Z. Ses versions lui valent l’attention et les encouragements d’une communauté qui s’élargit rapidement et le pousse à proposer ses propres chansons. Un an à peine après son premier single paru fin 2014, il boucle son premier album Skyzo avec lequel il s’installe dans le paysage musical camerounais.

Le succès de sa pop urbaine aux couleurs locales se mesure aujourd’hui entre autres à l’aune du nombre de vues de ses clips en ligne, dont certains ont franchi allègrement la barre des 10 millions. À son actif, Locko compte aussi des concerts en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Nigeria ou en Éthiopie mais aussi en France et en Allemagne ainsi qu’en Amérique du Nord. « On peut toujours faire beaucoup plus », assure-t-il. Avec un certain goût pour les défis.